Revue 94, octobre 2016. Interview par Laurence Madiot.
Tu étais très ému lors de la remise de ton trophée de la goutte d’eau solo pour Irlande. Le temps
n’efface donc pas l’émotion ?
Certes, les années ont bien passé depuis mes premières présentations, il y a presque 40 ans. J’ai bien sûr vieilli, mais la passion est toujours la même et ne s’est absolument pas altérée. J’en suis même surpris, étonné mais heureux. J’ai toujours été très ému lors de la remise des récompenses le soir aux résultats et je le suis toujours autant. Le temps n’efface pas la joie de présenter en concours, l’émotion qui fait battre le coeur à la prise d’un point et ensuite aux résultats.
Je pense qu’en plus cette émotion est encore plus intense quand on le fait sans prétention particulière, donc sans pression et uniquement pour le plaisir.
Donc, gagner cette « goutte d’eau » solo pour le « fun », pour le plaisir mais en faisant tout de même le
maximum, m’a procuré une grande émotion à la remise du trophée.
Certes, je juge beaucoup plus que je ne présente depuis une vingtaine d’années, mais je serais très malheureux de ne plus avoir la griserie de la présentation.
« La Brande de la Lienne » est un affixe réputé et pourtant tu ne fais que très peu de portées. Quel
est ton secret ?
Dès l’acquisition de mes premières setters, Mutine des Petites Chaumes et Orphée du Rio Corollan, deux femelles de grandes qualités, j’ai tout de suite ressenti l’envie de faire un peu d’élevage. J’ai donc demandé l’attribution d’un affixe du nom du lieu-dit où j’habite. C’est tout simple, mais j’ai surtout eu la très grande chance de démarrer avec deux chiennes « super » auxquelles je dois toute ma carrière en cynophilie et beaucoup de grandes joies.
Mutine était une super chienne de chasse à la bécasse, trialer et championne de beauté.
Orphée a gagné le PSS, fait 7 CACIT de printemps et a été bien sûr une grande championne de travail… et aussi championne de beauté.
Voilà comment s’attrape un virus qu’aucune antibiothérapie ne peut détruire !….
Et ensuite, tout s’est enchaîné non stop jusqu’à aujourd’hui, toujours avec le même plaisir avec différents chiens que j’ai présentés dans les disciplines qui convenaient à chacun. Cela m’a donné le bonheur de présenter et gagner dans tous les types de concours.
J’ai fait peu de portées avec mes chiennes, pris quelques chiots lors des saillies de mes étalons, mais j’ai toujours eu une dizaine de setters au chenil, des chiens très très chasseurs, faciles à dresser, intelligents, très précoces et qui travaillent en setter, bien dans les caractéristiques et les expressions de leur race.
Que privilégies-tu dans le choix de tes étalons ?
Il est certain que j’attache beaucoup d’importance à la chasse. C’est pour moi primordial et incontournable. Absolument tous les champions et trialers que j’ai possédés allaient beaucoup à la chasse, n’importe où, dans n’importe quel biotope, sur les verts du printemps, au bois, au marais, à la montagne. Ils doivent passer partout, avec plus ou moins d’affinités pour certains terrains, mais toujours avec la passion de chasser.
La chasse rend les chiens encore plus passionnés et intelligents. Il faut leur faire « tomber » du gibier.
Il est donc évident qu’un étalon doit pour moi être un grand chasseur, un grand trialer.
Et bien sûr, je choisis un étalon qui a le galop le plus moelleux et le plus félin possible, de beaux contrôles d’émanations, un arrêt tout en douceur, bien fléchi.
J’attache aussi beaucoup d’importance aux qualités naturelles précoces. J’aime voir les chiens jeunes, encore à peine travaillés, avant que le dressage soit trop intervenu.
Et enfin, je recherche les étalons qui ont un patron spontané, naturel, non travaillé. C’est beaucoup plus beau et ça évite du travail. J’ai pratiquement toujours eu ça dans mes lignées depuis Orphée et je tiens à le conserver.
Et objectivement, quand je juge, je trouve que nous avons moins de souci avec le patron qu’il y a 25 ans.
Beaucoup de nos setters ont un patron naturel et spontané, maintenant dans les concours en couple.
Penses-tu que la bécassine soit une discipline vraiment à part ?
Je pense que les concours sur bécassines sont une discipline comme les autres, aussi utile et intéressante, où l’on peut parfaitement juger, de façon très visible, la prise de terrain, la passion de la chasse, les allures, le style inhérent à chaque race. C’est très sélectif en plus dans des terrains souvent difficiles.
Certes, c’est un gibier particulier qu’il faut auparavant faire découvrir au chien pour lui faire comprendre que c’est ce petit oiseau que l’on recherche.
Mais c’est un gibier qui rend les chiens sensibles. Je
pense donc que les concours sur bécassines ne sont à
envisager que lorsqu’une carrière sur perdreaux au printemps
est finie.
Penses-tu que la bécasse soit complémentaire, ou est-ce une discipline différente qui nécessite d’autres qualités ?
Il est certain qu’au bois, lors des concours bécasses, on peut un peu moins bien voir les styles de race que dans un marais à la bécassine. Mais tout de même, dans toutes les disciplines, on arrive à voir la souplesse du galop, la prise d’émanation, l’attitude à l’arrêt.
A la bécasse, comme à la bécassine, les qualités requises seront toujours les mêmes : passion de la chasse, endurance, continuité de l’action, amplitude de quête, brio du parcours.
Le solo est souvent décrié par ceux qui pensent que seul le couple est sélectif. Qu’en penses-tu ?
C’est sûr, j’apprécie par-dessus tout les concours en couple. C’est plus dur, plus sélectif. Il y a compétition entre deux chiens qui chassent sur le même terrain. C’est une ambiance de groupe, c’est plus gai. De plus, les chiens y sont de plus grande qualité avec plus de maturité.
Mais le solo demeure pour moi indispensable au début de la carrière d’un jeune chien. On y voit son mental, sa passion de la chasse, son endurance, sa continuité dans l’action, sa mise rapide sur le terrain, tout seul, sans l’aide stimulante de la présence d’un autre concurrent.
Je pense néanmoins que les concours solo ne devraient être autorisés que jusqu’à l’âge de 3 ans dans
l’année.
Mais il est certain que la sélection des setters champions, ainsi que celle des étalons à utiliser pour la race, se fait dans les concours en couple.
Laurence MADIOT