Revue 98, février 2018. Inerview par Bruno Maury.
– Bonjour Jérôme, pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu rapidement te présenter ?
Bonjour Bruno, avant tout, je voudrais te dire que je suis très heureux que ce soit toi qui me pose quelques questions, tu fais partie de ceux qui m’ont vu arriver et qui n’ont jamais été réticents à l’éclosion des jeunes.
Je suis installé dans l’Hérault, à Nizas, un petit village à côté de Pézenas, au coeur du vignoble des Côteaux du Languedoc. Je me suis installé comme professionnel il y a 10 ans, je gravite dans le monde des Fields depuis le tout début des années 2000.
– Comment es-tu devenu dresseur professionnel ?
Même si la chasse a toujours été une histoire de famille, j’ai plutôt été bercé par les broncas du stade Sauclières à l’époque du « Grand Béziers ». Nous avons toujours eu des chiens à la maison, braques français, pointer mais surtout des setters anglais. J’ai eu la chance d’avoir, par le plus grand des hasards, un setter Gordon qui a attiré mon attention très rapidement. Un chien particulièrement doué et très entreprenant, c’était Théo des Hauts du Barry.
Je l’ai rapidement confié à un dresseur, puis me suis pris très rapidement au jeu des Fields et le virus était bel et bien attrapé. J’ai, petit à petit, laissé mon travail de l’époque, j’étais musicien, pour m’installer progressivement, avec la construction d’un chenil faisant pension et élevage.
– Quelle est ta méthode de travail ? Je sais que tu voyages beaucoup, qu’est ce que ça t’apporte ?
Ma méthode est très simple, je cherche à m’adapter à chaque chien et surtout pas l’inverse ! Pour les chiens destinés aux fields, je leur laisse pas mal d’initiatives au début tout en restant quand même assez pointilleux sur la quête.
Au fur et mesure de l’évolution du chien je deviens très rigoureux sur la mise en place et le travail de la quête avec notamment de parfaites relances, ce qui me vaut des moqueries très amicales
de certains de copains dresseurs. Je fais toujours attention à laisser l’initiative sur le point, j’ai horreur, comme on pouvait le voir il y a quelques années, des chiens incapables de remonter
une émanation ou qui coulent comme des valises…
Le fait de voyager sur de bonnes destinations amène les chiens dans divers biotopes avec une quantité de gibier exceptionnelle, décuple leur instinct de chasse mais aussi d’adaptation, ce n’est que bénéfique. Si les conditions le permettent nous irons travailler les jeunes en Ukraine l’an prochain. Destination idyllique pour la densité de perdrix mais aussi pour ses immensités.
Puis pour rivaliser sur les concours internationaux (l’avenir), il n’y a pas d’autres solutions.
J’attire l’attention, on ne peut pas parcourir l’Europe du jour au lendemain, il faut des fondations très solides, il faut des chiens de grande qualité, les voyages ne rendent pas meilleurs les mauvais ou mêmes les moyens, il faut aussi impérativement une solide équipe de clients qui vous font une totale confiance. Tout ceci se construit lentement.
– Tu entraînes avec Ernesto Pezzotta, le très connu dresseur italien dont nous avons pu lire une interview dans cette revue. Que cela t’apporte-t-il ?
C’est vrai que je travaille beaucoup avec Ernesto. Je vais insister avant tout sur le fait que j’ai connu Ernesto sur le circuit, nous avons sympathisé au fur et à mesure car nous avons pas mal de points communs… Il faut savoir qu’Ernesto est une personne dont la gentillesse et l’humilité n’ont d’égales que ses qualités de dresseur.
Entraîner avec quelqu’un comme lui, ayant ses connaissances, est rassurant surtout dans des périodes de doutes, il a toujours un conseil ou un mot gentil pour remonter le moral. Il faut savoir,
malgré un palmarès monstrueux, il a lui aussi besoin d’être rassuré et reste très accessible. Sur le terrain, nous n’avons pas les mêmes chiens (chacun sa catégorie!), mais j’ai été très surpris les premières fois où nous avons travaillé ensemble, nous avons sensiblement les mêmes méthodes, une approche quasi similaire et beaucoup de rigueur. C’est donc très agréable car les journées se déroulent toujours bien, mais avec un fort mal aux jambes le soir. Ernesto me confie souvent des chiens à travailler, des chiens pétris de qualités, ça fait partie des privilèges de le côtoyer, le dernier s’appelle Matrix, on le verra bientôt sur les terrains.
– Ernesto, mais aussi Libéro Zagni, que toi et moi connaissons très bien, disent de toi que tu es un « gros travailleur » doté d’une « très bonne main ». Des compliments de ce genre de personne sont une sorte de reconnaissance dans ton travail. Ça doit te faire plaisir ?
Bien-entendu que ça me fait plaisir ! Gros travailleur je le pense, je commence mes journées à 7h le matin et je les finis le soir à l’heure du dîner. A l’époque, avec mon comportement « ultra dilettante » en dehors du terrain (que j’ai toujours), certains avaient voulu me coller une drôle de réputation…
Voilà la plus belle des réponses ! Entendre dire que j’ai une bonne main me touche particulièrement, surtout de la part de grands connaisseurs, je suis d’autant plus honoré car ce n’est pas quelque chose qui ne s’apprend pas.
– Quand on te confie un jeune chien que regardes-tu en premier ? Quelles sont les qualités qui t’importent le plus ?
Je suis particulièrement sensible aux allures d’un setter, mais paradoxalement, je vais regarder prioritairement l’équilibre, l’intelligence, la prise de terrain et la faculté à prendre des points. Quand je prends un chien c’est avant tout pour le faire champion de travail, il faut donc, en premier lieu, un chien dressable et étant capable de prendre des points propres, avant de s’enflammer sur les allures !
Il m’est arrivé et m’arrive encore de « fabriquer » des chiens, dont un en particulier, qui n’avait que les allures et à qui il a fallu tout apprendre, mais la carrière a été de courte durée, comme souvent avec ces chiens là.
– Avec Harper de Béhigo, tu viens de gagner le Championnat du Monde de Chasse pratique et un excès de passion lors du barrage final ne lui a permis que d’obtenir le titre de vice-Champion d’Europe : c’est une belle récompense, mais ce dernier barrage met en évidence un dilemme : faut-il laisser, dans le dressage, une part d’incertitude, mais aussi, au chien son génie propre, même si parfois il le dépasse, ou dresser impeccablement-je pense à Francis Maudet, -auprès duquel tu as beaucoup appris- et enlever une part de cette folie créative qu’ont les grands chiens, mais gagner en sécurité, en particulier dans ces grands rendez-vous ?
Avant de répondre à ta question je voudrais resituer le barrage du Championnat d’Europe. Il m’a fallu dans un premier temps faire un premier barrage pour le CACIT. Si tu te souviens bien ce barrage se termine par une pose d’arrêt sur la bordure gauche du terrain. Quelques secondes après je tirais au sort le même côté gauche pour le barrage final, Harper est parti immédiatement
vérifier sa pose. Je ne pense pas qu’il y ait directement un lien avec la préparation, en tout cas ce jour-là.
Je vais maintenant répondre à ta question, comme je le disais plus haut je suis perfectionniste dans le travail de la quête, mais j’essaye de garder la part de génie d’un chien doué, je peux t’assurer que c’est totalement compatible. J’aime gagner avec la manière, « alla grande » comme le
disent nos amis italiens. Pour gagner sans la manière, il faut certes une maîtrise totale sur le chien, mais aussi sur le système, et ce dernier point ne m’intéresse pas… J’ai participé cette année à cinq barrages pendant la semaine landaise, mes chiens ont fait le CACIT à chaque fois avec brio, très loin du spectacle affligeant auquel nous assistons certains jours.
– Conduire « le chien du président » est une lourde charge, surtout quand il est très bon ! Quel est le revers de la médaille ? Beaucoup de jalousie, trop de pression ?
Conduire un chien comme Harper est un véritable plaisir mais aussi un privilège que beaucoup aimeraient avoir. Un grand chien attise toujours convoitise et jalousie. Ce qui est assez étonnant et déconcertant est qu’Harper ai gagné partout, sur tous les terrains, français et étrangers, et que certaines personnes pensent encore que sa seule qualité est d’être le chien du président profitant de certains avantages. Etant d’un naturel optimiste, je me dis qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, je me dis alors qu’Harper sera reconnu à sa juste valeur, mais c’est pas gagné… Heureusement des connaisseurs, j’en rencontre en France mais généralement à l’étranger ne tarissent pas d’éloges sur lui. Quant à la pression je l’ai rarement, et quand quelqu’un essaye de me la mettre il en fait généralement les frais. Fut un temps quelques-uns me faisaient passer pour un râleur. Je ne râle seulement quand le concours n’est pas maîtrisé, mais par tous les acteurs, donc très rarement ! Il est quand même important de souligner qu’Harper est issu à 100% de l’élevage français avec la lignée des Béhigo côté maternel, reconnue pour ses qualités de chasse et d’Ussan, chien que j’ai bien connu et dont les qualités de reproducteur ne sont plus à prouver mais à louer. Il est bien dommage qu’un chien comme Harper ne soit pas plus utilisé vu son potentiel, son palmarès et son excellente morphologie…
– Jérôme, pour finir, te verra-t-on prochainement en Grande Quête ?
Ce n’est pas prévu dans un avenir proche, ni à moyen terme d’ailleurs, je me régale et m’épanouis totalement dans ce que je fais, même si la Grande Quête est toujours dans un coin de ma tête. Je reste persuadé qu’il est impossible de courir deux lièvres à la fois. Puis comme je le disais plus haut, je construis toujours sur de solides fondations.
– A bientôt sur les terrains.
Elevage du Clos des Frigoulas.