Revue 108, 1er semestre 2023. Un article du Dr Vétérinaire Philippe Mimouni.

Votre chienne a été saillie par un étalon choisi parmi les meilleurs ou bien tout simplement par un bon chien de chasse avec qui vous avez l’habitude de chasser. Vous avez je l’espère suivi toutes les indications pour choisir le moment optimum de l’accouplement (cf. numéro précèdent) : cela va vous être utile pour la suite de la saga « ma chienne va avoir des bébés »
Vous êtes cependant confronté à une période pleine d’interrogations :
Quand vais-je savoir si ma chienne est pleine ?
Est-ce que je dois changer ses habitudes alimentaires, de chasse ?
Quels traitements puis-je faire pendant la grossesse sans prendre
de risques pour la portée ?
Quand va-t-elle mettre bas et combien de chiots ?
La durée de gestation de la chienne :
La chienne porte sur une période courte de 9 semaines environ. La durée apparente entre la saillie et la mise bas est comprise entre 57 et 72 jours. Calculée à partir du jour de l’ovulation, elle est fixe et de 63 jours (+/- 1j) chez la chienne. La durée de gestation « réelle » est de 60+/- 1 jour par rapport au jour de saillie (si la chienne est saillie au moment optimum de fécondation soit 3 jours après l’ovulation). Nous n’insisterons donc jamais assez sur l’intérêt de réaliser un suivi de chaleur avec détermination du moment de l’ovulation afin d’optimiser la réussite de votre portée et également de connaître précisément la date de mise-bas.
Déroulement de la gestation :
La fécondation entre les ovules et les spermatozoïdes prend place dans l’oviducte (extrémité de l’utérus attenante à l’ovaire) puis
les embryons pénètrent dans les cornes utérines vers le 11ème jour. Ensuite, les embryons baignent dans le « lait utérin » jusqu’à leur fixation à la paroi de l’utérus, via le placenta, vers le 16ème jour : c’est la nidation.
Les embryons se développent peu à peu dans la poche amniotique, raccordés à la mère par le cordon ombilical.
La croissance des foetus est majeure dans le dernier tiers de gestation entre 45 et 60 jours.
La progestérone, sécrétée par les corps jaunes dans les ovaires, assure le maintien de la gestation. D’autres hormones sont produites par le placenta, dont la relaxine, indispensable notamment au relâchement des tissus péri-pubiens avant la mise-bas.
Le squelette des chiots commence à s’ossifier autour du 42ème jour de gestation, l’ossification est nette à partir du 50ème jour.
Diagnostiquer la Gestation
L’intérêt de réaliser le diagnostic de gestation est évident : Est-ce que ma chienne attend des bébés ou non ? L’orientation
diagnostique chez une chienne « vide » est différente si celle-ci avorte précocement ou si elle ne présente aucune gestation.
Il permet également d’estimer le nombre de chiots à naître et ainsi d’adapter l’alimentation en fin de gestation. Il nous donne
une indication importante sur le risque ou non de mise-bas difficile (nombre important de chiots ou à l’inverse risque de
chiot unique). Il donnera une orientation au propriétaire pour le nombre de réservations (attention tout de même car l’estimation
du nombre par échographie reste toujours approximative du fait des risques de résorptions ou tout simplement d’erreur de la part
de l’échographiste). On pourra également évaluer la croissance des chiots, la présence d’une résorption (disparition précoce d’un
embryon) ou d’une anomalie de développement. Un des premiers critères est l’apparition de modifications extérieures de la chienne. On observe un élargissement de l’abdomen à partir de la 4ème semaine et l’apparition d’une ptôse
abdominale * lors du deuxième mois en cas de portée nombreuse.
Le développement des mamelles est visible dès 30 jours : les mamelles sont dures, turgescentes et congestionnées mais
attention ce signe est peu fiable car il est aussi présent chez des chiennes non gestantes (pseudo-gestation). On note parfois des
écoulements un peu glaireux (ressemblant à du blanc d’oeuf) à ne pas confondre avec des écoulements purulents présents lors d’une vaginite ou un pyomètre.
La palpation abdominale est réalisable par le praticien. Elle sera pratiquée avec la plus grande souplesse possible car elle peut être
à l’origine d’un avortement si elle est effectuée trop fréquemment ou brutalement.

  • Les embryons forment une série d’ampoules ovales dans l’utérus gravide, les plus caudales pouvant être palpées à travers la paroi abdominale à partir du 21ème jour environ.
  • Après 35 jours, la palpation ne permet plus de mettre en évidence les ampoules foetales car elles augmentent de taille, puis confluent, et ne sont plus individualisables. On ne peut pas faire la différence avec des selles dans le côlon.
  • A partir de 45 jours la palpation des reliefs osseux permet de nouveau de mettre en évidence les foetus.

L’échographie est l’examen de choix et constitue un diagnostic fiable. Si aucun suivi de chaleur n’a été réalisé, il est préférable
d’attendre 25 jours post-saillie, au cas où la chienne a été saillie trop tôt. Cependant si la date de l’ovulation est parfaitement
connue on pourra pratiquer l’échographie (échographiste confirmé) dès le 21ème jour post ovulation.
Cet examen permet de faire un diagnostic précoce de gestation, d’estimer la vitalité des foetus (observation des battements
cardiaques) ou de déceler des résorptions embryonnaires. Si elle est réalisée tôt (avant le 30ème jour) elle permet d’estimer le nombre de chiots. De plus, on peut également évaluer la croissance des chiots ou bien dater la gestation en effectuant des mesures de certaines parties du corps du foetus comme la boîte crânienne.

La radiographie est un examen tardif qui ne présente pas d’intérêt dans le diagnostic de gestation. Par contre, lorsqu’elle est
réalisée dans la dernière semaine de gestation, elle permet une détermination précise du nombre de chiots.
D’autre part, contrairement aux idées reçues, la radiographie ne permet pas de savoir si un chiot va être capable de passer la filière
pelvienne en dehors de foetus monstrueux (anomalie majeure de croissance) ou de connaître la position des petits à la naissance, car de nombreux foetus se retournent complètement dans les derniers jours qui précèdent l’accouchement
La minéralisation du squelette des foetus commence vers le 45ème
jour mais ils ne seront visibles qu’à partir du 50ème jour
Vaccination des chiennes gestantes :
La règle d’or en élevage est d’éviter tout traitement pendant la gestation, surtout dans la première moitié de la gestation lorsque
se forment les organes du foetus. Ceci est également valable pour la vaccination. La mère doit être correctement vaccinée de manière à pouvoir transmettre des anticorps protecteurs dans le colostrum. Tous les rappels doivent être effectués avant la saillie afin d’éviter la vaccination pendant la gestation et tout effet secondaire lié au vaccin. Seule la vaccination contre l’Herpes virose peut être est pratiqué pendant la grossesse si elle est nécessaire : elle ne protègera pas la mère mais la portée. Il est important de demander conseil à son vétérinaire avant la mise à la reproduction concernant le protocole vaccinal.
Vermifugation de la chienne gestante :
« Quand on élève des chiens on élève des vers » nous disait un de mes Maîtres de l’École Vétérinaire de Toulouse. Cela signifie tout
simplement que les vers sont extrêmement fréquents en élevage canin et notamment Toxocara canis (Ascaris) qui est retrouvé
dans 100 % des élevages. Ainsi il est recommandé de vermifuger régulièrement la lice afin de limiter la contamination des chiots.
Le protocole classique de vermifugation de la chienne gestante afin d’assurer la protection de chiots est :

  • en début de chaleurs
  • au 40ème jour de gestation avec un vermifuge larvicide, exemple
    Febendazole (Panacur ND) 50mg /kg pendant 3 jours.

Alimentation de la chienne gestante :
Il n’est pas nécessaire de modifier l’alimentation pendant le premier mois de gestation. A partir de la 5ème semaine de gestation. Il est conseillé de passer (progressivement) sur un aliment hautement énergétique tout en augmentant les quantités de 10 % par semaine jusqu’à la mise bas. Il est conseillé de fractionner la distribution des repas car l’augmentation du volume de l’utérus réduit le volume gastrique. Cependant il faut proscrire la distribution en libre-service qui peut favoriser une prise de poids trop importante et entraîner des difficultés à la mise bas. Il est utile de peser la chienne afin de limiter la prise de poids à 25-30 %. Une supplémentation en Calcium en plus de la ration quotidienne est inutile voire dangereux. Ce surdosage en calcium expose la chienne à des troubles de la régulation du métabolisme du calcium et l’apparition de crises d’éclampsie (convulsions) au moment de la mise-bas et dans les premières semaines de la lactation. L’appétence de l’aliment revêt toute son importance en fin de gestation. On vérifiera que la femelle se nourrit convenablement jusqu’au terme afin de prévenir tout risque de toxémie de gestation.
Peut-on amener une chienne gestante à la chasse ?
Pendant la première moitié due la grossesse il n’y a pas de contre-indications à ce que votre chienne pratique une activité
physique dans la limite du raisonnable. Par contre à partir de la 5ème semaine, il est déconseillé de la faire chasser pour éviter tout
accident (Chute, traumatisme, bousculade par un sanglier, efforts violents…) pouvant être préjudiciable pour le déroulement normal de la grossesse. Dans tous les cas, il faudra éviter de l’amener dans des rassemblements de chiens (expositions, concours de travail …) car la grossesse la rend plus réceptive à toute sorte de maladies infectieuses. Rappelez-vous que tout stress peut favoriser les modifications hormonales et avoir ainsi des répercussions négatives.

Quelles sont les affections associées à la gestation :
Il existe de nombreuses maladies pouvant toucher la chienne et les foetus pendant la gestation.
Diabète sucré de gestation (hyperglycémie)
Le diabète sucré gestationnel chez la chienne est une affection rare à la différence de la femme (chez qui cette pathologie hormonale concerne 2 à 12 % des grossesses). Les symptômes sont une prise de boisson augmentée, des urines plus fréquentes et un abattement. Le traitement consiste à essayer de réguler la glycémie par une insulinothérapie (difficile car les hormones de gestation interagissent avec traitement et la portée est souvent compromise). Aujourd’hui l’avortement thérapeutique est souvent recommandé.
Toxémie de fin de fin de gestation et Hypoglycémie :
Surtout présent dans les élevages nourris exclusivement avec de la viande (certaines meutes de chiens courants) et par conséquent les chiennes gestantes sont considérablement carencées en glucides. Les symptômes sont au départ un abattement mais peuvent aller jusqu’au coma et à la mort de la chienne. Le diagnostic se fait par une analyse de sang associée à une analyse d’urine. Le traitement est possible si la maladie est détectée tôt.
Eclampsie de fin de gestation (et surtout pendant la lactation)
Elle est liée à un effondrement de la calcémie et est souvent provoquée par une supplémentation en calcium en fin de gestation
sur une chienne saine ce qui entraîne par effet rebond une perturbation de la capacité de la chienne à utiliser son Calcium
Attention : en supplémentant par excès, on risque de générer ce que l’on veut prévenir. Les symptômes classiques sont une agitation inhabituelle avec des gémissements, une salivation augmentée, des pertes d’équilibre, et parfois des convulsions avec hyperthermie.
Le diagnostic se fait par une analyse de sang et le traitement consiste à une supplémentation orale à intra-veineuse (sous
contrôle cardiaque) de Calcium
Insuffisance lutéale (hypoprogestéronémie)
Certaines chiennes peuvent présenter une chute prématurée de la production de progestérone, hormone qui assure le maintien de la gestation, au cours de la gestation. Cette maladie est très souvent sur-diagnostiquée, il est normal d’avoir une descente progressive de celle-ci à partir de la troisième semaine de gestation.
En cas de suspicion d’insuffisance lutéale, il faut faire un suivi de la progestérone pendant les 40 à 50 premiers jours de gestation et supplémenter le cas échéant.
Surveillance de la gestation :
Toute perte vulvaire surtout si elle est colorée et/ou abondante doit être signalée mais aussi vomissements, tremblements excessifs, fièvre, …
La gestation est avant tout un phénomène physiologique naturel. Un suivi simple mais rigoureux permet de contrôler son bon
déroulement afin de la préparer (ainsi que vous-même !) à la mise-bas et au post-partum (période suivant la mise-bas) que nous
aborderons au prochain épisode.

Glossaire :
Corps jaune : structure spéciale de couleur jaune qui se forme dans l’ovaire à l’endroit de l’ovulation et qui produit la progestérone
(hormone qui sert au maintien de la gestation).
Ptôse abdominale : chute des organes abdominaux, causée par le relâchement des ligaments viscéraux ou des parois abdominales.
Syndrome du chiot unique : quand une chienne est gestante d’un seul chiot, les signaux déclencheurs de la mise-bas ne sont parfois pas suffisants pour déclencher la mise-bas. Le chiot finit alors par mourir avec un risque d’infection important et le pronostic vital de la mère peut être engagé. D’où l’importance de savoir s’il n’y a qu’un seul chiot pour surveiller la mise-bas et la déclencher si besoin.