Revue 111, 2è semestre 2024. Un article du Dr Vétérinaire Philippe Mimouni.

Nous allons aborder aujourd’hui un sujet passionnant : la mamelle. Je vois déjà des étincelles dans le regard des plus lubriques d’entre vous. Je vais sûrement vous décevoir, mais nous n’allons ni décrire de nouvelles techniques de massages érotiques ni énumérer tous les critères diagnostiques pour mettre en évidence une plastie mammaire. Nous nous contenterons de parler de la lactation « nerveuse » de la chienne : sujet tout aussi passionnant.

Qu’est -ce que la lactation de pseudo gestation ou lactation nerveuse ?

Très fréquente : concerne une chienne sur deux en fin de métoestrus (période d’environ deux mois qui suit les chaleurs).
Entre la quatrième et la douzième semaine après la fin des chaleurs, la chienne change de comportement, devient plus agitée, plus « nerveuse », plus câline ou au contraire plus distante. La chienne se comporte comme si elle était pleine (grossesse nerveuse), et pourtant elle n’attend aucun rejeton.

Quels sont les signes ?

On observe :

– des symptômes généraux : nervosisme, isolement avec des jouets ou des objets divers qu’elle semble prendre pour des chiots ; en résumé, comportement d’une chienne qui vient de mettre bas,
– des symptômes locaux : développement mammaire, production de lait avec mamelles chaudes et tendues, parfois complications
de mammite.

– des symptômes spécifiques aux chiens de sport : baisse des capacités physiques, sensibilité de nez (la chienne est toujours à
l’arrêt ou bien est capable de faire une magnifique remontée avec un arrêt plaqué… sur une alouette !), diminution des capacités au dressage (la chienne n’écoute rien), et, souvent, la chienne s’arrête régulièrement pour « brouter » de l’herbe.
Ces manifestations ne sont pas les signes d’une maladie, mais d’une imprégnation hormonale.
Elle peut se produire sur toutes les chiennes, qu’elles aient été accouplées au cours de leurs chaleurs ou non, et même si elles
n’ont jamais eu de portées antérieurement.

À quoi est due cette pseudo gestation ?

Chez la chienne, les changements hormonaux qui surviennent après les chaleurs sont les mêmes que celle-ci soit gestante ou non.
En particulier, la progestérone, qui est l’hormone de la grossesse, est sécrétée même si la chienne n’est pas enceinte. Environ deux
mois après les chaleurs, la baisse du taux de cette hormone dans le sang déclenche la synthèse d’une autre hormone, la prolactine, laquelle a pour effet de stimuler la lactation, parfois même chez des chiennes qui n’attendent pas de petits, et vont ainsi présenter une lactation « nerveuse ».
Il existe des prédispositions raciales et individuelles (certaines lignées) incontestables.
Cela signifie que même non gestante, la chienne semble se préparer – sur le plan hormonal – à un accouchement. Dans de
telles conditions, toutes les chiennes devraient présenter des grossesses nerveuses. Or, ce n’est pas le cas. On ne sait donc pas
pourquoi certaine chiennes développent cette affection et d’autres non.
Cette affection est sans conséquences pour la santé de la chienne. On la traite en général lorsque la lactation persiste durant plusieurs semaines, souvent auto entretenue par le léchage des mamelles par la chienne elle-même.
Les chiennes qui font des grossesses nerveuses ont tendance à en refaire, parfois même après chaque période de chaleurs, ce qui
devient lassant pour le propriétaire.
Les chiennes qui présentent des lactations nerveuses récidivantes à chaque cycle ont tendance à développer des tumeurs mammaires significativement plus tôt. L’accumulation des sécrétions lactées est responsable d’une distension alvéolaire intense. La compression vasculaire ainsi provoquée favoriserait l’anoxie tissulaire et la formation de radicaux libres carcinogènes. Ce mécanisme pourrait expliquer l’association entre les lactations nerveuses et le développement des tumeurs mammaires.
En élevage, curieusement, cette affection est rare et se retrouve surtout chez des chiennes vivant chez des particuliers.
La lactation de pseudogestation ne représente en aucune façon le désir d’une maternité inassouvi, et faire reproduire une chienne
sujette aux lactations nerveuses ne l’empêchera aucunement d’en refaire ensuite. Grossesse et lactation nerveuses ne sont pas non plus des états dépressifs : la chienne ne souffre pas et s’en remet fort bien. Il convient à cet égard de ne pas faire preuve devant ce phénomène de trop d’anthropomorphisme.

Lactation nerveuse : un comportement de meute ?

Du fait que le fonctionnement hormonal est le même chez une chienne gestante ou non, les chercheurs ne comprennent pas
encore bien pourquoi cette affection se produit chez certaines chiennes et pas chez d’autres. Certains d’entre eux ont proposé
une interprétation fondée sur l’étude du comportement du loup, qui est l’ancêtre de nos compagnons à quatre pattes, en meute
ou de ce que l’on observe chez les chiens sauvages (lycaons, dingos). Dans une meute, on observe que les femelles dominantes
empêchent l’accouplement des femelles de rang immédiatement inférieur. Alors que les chiennes très dominées, en bas de l’échelle sociale, n’ont souvent même pas de chaleurs, les chiennes de catégorie moyenne présentent des chaleurs synchronisées sur celles des dominantes et ont du lait au moment où elles font une lactation de pseudogestation, c’est-à-dire à une période où elles pourront nourrir les chiots des dominantes, donc de fait les chiots de la collectivité. Il est ainsi retrouvé que dans certains élevages, les chiennes en lactation nerveuse peuvent nourrir des jeunes et ainsi servir de mères adoptives.
Grossesse ou lactation nerveuses ne sont donc pas des maladies, mais un phénomène quasi normal. Dans de très rares cas de
pseudolactation se poursuivant anormalement longtemps, on peut mettre en évidence une hypothyroidie. Seuls des dosages
hormonaux permettent alors de la diagnostiquer.

Comment faire cesser une lactation nerveuse devenue trop gênante ou prolongée ?

De nombreux traitements médicaux ont été mis au point. Les plus efficaces et les moins nocifs pour la chienne sont à base de
substances dites antiprolactines comme la cabergoline (Galastop, Finilac), c’est-à-dire inhibant la sécrétion de la prolactine, qui est
l’hormone responsable de la lactation. Ces produits sont administrés en dehors des repas et provoquent parfois chez certaines chiennes des vomissements.
Ces substances sont très puissantes et font le plus souvent cesser en quelques jours la montée laiteuse. En même temps, elles stoppent les troubles du comportement ou de l’appétit de la chienne et diminuent la taille et la congestion des mamelles.
Ne jamais utiliser des produits à bases d’hormones, qui sont efficaces mais entraînent de nombreux effets secondaires.
Dans les cas modérés, le recours à une telle thérapeutique n’est souvent pas nécessaire, même si elle accélère la guérison. Des
petits moyens sont souvent tout aussi efficaces. Il est ainsi impératif d’appliquer certaines règles d’hygiène :

  • diète de 24 heures,
  • régime diététique en diminuant les protéines (on rajoute des légumes dans la ration et diminue les croquettes),
  • applications d’emplâtres sur les mamelles (blanc d’Espagne, vinaigre blanc),
  • pommades calmantes spécifiques (Vegebom, Vaseline camphrée),
  • sortir plus souvent la chienne,
  • confisquer les objets qu’elle materne (pantoufles, jouets…).

Conseiller l’ovariectomie pour régler le problème de façon définitive sur les chiennes qui ne sont pas ou plus destinées à la
reproduction et qui présentent des lactations de pseudogestation systématiques et sévères. L’intervention doit être pratiquée en
période de repos sexuel et une fois la lactation totalement terminée, sous peine de la prolonger et de la rendre rebelle à tout traitement.

A-t-on aujourd’hui une solution contre la baisse de forme post -chaleurs ?

Tous les propriétaires de chiennes savent à quel point les chiennes sont diminuées dans la période qui suit immédiatement les
chaleurs (deux mois). Ce phénomène explique en partie le peu de chiennes présentées en field. Cette baisse de forme semble être
liée à l’élévation de la progestéronémie, et, à l’heure actuelle, nous essayons des médicaments (dits « antiprogestérones »)
qui sembleraient contre carrer ces contre-performances.
Malheureusement, les résultats ne sont pas encore satisfaisants pour que l’on propose en routine une thérapeutique fiable, mais
d’ici quelques années, on peut espérer pouvoir supplémenter les chiennes pour qu’elles soient plus performantes. Un seul problème :
dopage or not dopage ? That is the question.
Ce sujet sera abordé dans un prochain numéro.