Revue 101, octobre 2019. Un article de Hervé Brabant.

Le tétras des armoises, « sage grouse » en anglais, est un oiseau emblématique des plaines de l’Ouest américain. On le trouve dans une dizaine d’Etats, où pousse l’armoise, petit arbuste particulièrement odorant qui occupe d’immenses étendues arides.

Le tétras des armoises est le plus grand tétraonidé d’Amérique du Nord. Il pèse entre 2 et 3 kg.
Il vit en compagnies regroupant plusieurs familles, les femelles pondant huit oeufs en moyenne. Ils se nourrissent essentiellement d’armoise, ainsi que d’herbacées non graminoïdes (ils n’ont pas de gésier pour broyer les grains) et d’insectes.
Le plus remarquable dans cette espèce est la parade nuptiale. Les mâles paradent dans une arène ou place de chant appelée « lek ». Ils mettent leur queue en éventail et gonflent et dégonflent leurs sacs vocaux (comme sur la photo).

Pour commencer, aller chasser le tétras des armoises n’est pas facile : il n’y a ni grande ville ni aéroport international dans la région. Une fois là-bas, on prend conscience de l’immensité des territoires pratiquement inhabités.
En sortant de la voiture après avoir roulé pendant des heures à travers les steppes arides, la première chose qui surprend est la forte odeur de l’armoise qui flotte dans l’air. Vu la pauvreté des sols, il est tout de suite évident que les oiseaux ne vont pas être nombreux. Parfois le sol est nu avec juste des armoises, parfois une herbe sèche parsème le sol entre les petits arbustes.
Nos setters sont particulièrement bien adaptés au lieu. Le terrain clair leur permet de prendre grand, voire très grand, afin d’explorer la surface la plus grande possible. Pas de route, juste des clôtures de barbelés qui quadrillent le terrain tous les « miles », soit tous les 1,6 kilomètres. On peut marcher tout droit ou suivre des « coulées », mouvements de terrain où apparaissent des ruisseaux quand il pleut. Puis au bout d’une heure et demie on fait demi-tour… Et on a donc
fait une sortie de trois heures sans avoir vu âme qui vive, juste aperçu quelques troupeaux de vaches et peut-être des antilopes d’Amérique ou des coyotes.
C’est au Montana que j’ai décidé de chercher le tétras des armoises. Le Montana, ce sont les paysages des films « et au milieu coule une rivière » et « l’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux » dans les contreforts des Montagnes Rocheuses. Mais le Montana est plus grand que la moitié de la France et s’étend sur plus de 1.000 kilomètres d’Est en Ouest. Il y a donc beaucoup de paysages différents, dont ces steppes d’armoises.
Je n’y ai passé que quelques jours, seul avec mes chiens. Le jeu est intéressant : je ne connais rien à l’oiseau et les chiens n’y connaissent rien non plus. Et comme je suis seul avec les chiens, je n’ai personne pour m’expliquer comment faire, mais c’est ce qui donne à cette découverte tout son intérêt. J’ai d’ailleurs prospecté plusieurs terrains sans rien trouver. Et lors des premiers indices, ni les chiens ni moi n’avons su comment faire. Quelle distance d’arrêt ? Comment bloquer l’oiseau pour les chiens ? Les oiseaux sont-ils isolés, dispersés ou en compagnie serrée comme des perdrix grises ? Est-ce qu’il piètent comme des perdrix rouges ou des faisans ?

Sur ces terrains nus, les oiseaux ne se laissent pas approcher. Ceux que j’ai eu à distance de chasse (fusil ou photo) étaient près de mouvements de terrain, les autres décollaient de loin. Il faut penser que si ces oiseaux ne voient que très peu de chiens d’arrêt, ils ont des canidés sauvages sur le dos tout le long de l’année : les coyotes y sont très présents. Plusieurs fois je me suis trouvé avec des coyotes un peu trop près de moi ou de mes chiens. Et l’issue d’une discussion entre un petit setter français et un chien sauvage américain est sans surprise. Alors autant l’éviter !
Les tétras des armoises sont en compagnie. Et quand la compagnie d’une vingtaine ou d’une trentaine d’oiseaux décolle, c’est impressionnant, même si ça part de loin. Heureusement il reste après quelques groupes isolés que les chiens vont arriver à travailler et à approcher.
Un vrai plaisir est de voir les chiens « apprendre » le gibier et s’adapter rapidement. Les jours précédents ils étaient dans les prairies d’herbe haute sur tétras à queue fine, les jours suivants ils seront en plaine sur perdrix grise.
Dans ces Etats de l’Ouest américain, beaucoup de terrains appartiennent au gouvernement fédéral et sont accessibles à la chasse pour tout le monde. Il faut donc bien étudier les cartes, bien repérer les limites, et on peut chasser sur d’immenses étendues. Pour chasser dans ces zones isolées, parfois à plusieurs heures de route du premier village, j’ai fait le choix de me déplacer en caravane. De même que l’on peut chasser sur les terres publiques, on peut aussi y poser la roulotte. Et c’est comme ça que j’ai traversé l’Ouest américain avec mes chiens à la découverte de nouveaux oiseaux comme le tétras des prairies, le tétras à queue fine, le tétras bleu, etc. Mais ceci est une autre histoire… Et c’est tellement magique que j’y suis retourné.

Hervé Brabant.

GESTION DE L’ESPÈCE
Le tétras des armoises est une espèce en difficulté. Son territoire perd petit à petit de la surface. Si le centre son aire de répartition reste peu changé car très désertique, les zones périphériques diminuent, à cause de l’agriculture et des forages pétroliers qui sont en expansion. Chaque Etat gère ses dates d’ouverture et ses limites de prises en fonction de ses populations. Par exemple le Montana (un Etat où l’oiseau va bien) ouvre la chasse un mois. L’Idaho ouvre une semaine sur une petite partie de son territoire et reste fermée sur l’autre. Le Dakota du Sud n’autorise la chasse que pour les habitants de l’Etat, sachant qu’il y a énormément de chasseurs qui viennent de l’extérieur pour le faisan et que la pression de chasse serait bien trop importante. Le Wyoming n’ouvre que quelques jours.
Les Américains essaient de laisser la chasse ouverte tant que l’espèce n’est pas mise en danger, même sur une très courte période avec des quotas très faibles. Ceci permet au monde de la chasse de rester concerné par la survie de l’oiseau et le maintient de son habitat. Le Canada a lancé un programme ambitieux pour augmenter les populations en Alberta et au Saskatchewan, les deux Provinces qui sont en limite nord de la zone de répartition. Les Etats américains font des études sérieuses sur l’espèce et ses besoins pour affiner les plans à mettre en oeuvre. Ils mettent de gros moyens et passent des accords avec les éleveurs pour améliorer ou conserver l’habitat.
Il y a plusieurs webcams installées sur des leks qui permettent l’observation des parades autour du mois d’avril. La parade ayant lieu au lever du soleil, avec le décalage horaire, elle est visible en France en début d’après-midi.