Un article de Bruno Maury. 2015.
Notre revue vous donnera, à vous, amateurs de Grande Quête, tous les comptes rendus des juges, les classements et les échelles de valeur ; aussi je me bornerai à vous raconter trois actions qui, durant ces 20 jours de concours que nous avons vécus en France, puisque nous accueillions, cette année, la Coupe d’Europe et les Championnats, ont marqué ma mémoire. Il s’agit donc et je vous prie de m’en excuser de quelques lignes purement subjectives en parlant de quatre chiens que j’ai vus et qui m’ont marqué. Que les autres me pardonnent, j’ai par le passé, assez fait de comptes-rendus exhaustifs de la saison écoulée, sans oublier personne, pour peindre un tableau impressionniste et partial de cette saison.
Avant tout, nous avons eu droit au combat de gladiateurs le plus abouti, le « mano a mano » le plus prenant, qu’il m’ait été donné de voir, entre deux chiens exceptionnels : GIONO du Val du Ruth et MARC del Faenor, conduits respectivement par Camille Dave et César Villamiel. Un mot sur César, dresseur espagnol, qui depuis quelques années nous fait l’amitié de venir en France présenter ses chiens sur les « oiseaux de vérité » ; en plus de son grand professionnalisme, sa bonne humeur permanente et sa gentillesse l’on fait adopter par les dresseurs français comme un ami de plus, à tel point que je me promets, l’an prochain, de demander au Ministre de L’Intérieur sa naturalisation !!!! Donc, Giono et Marc, Marc et Giono, pratiquement tous les jours au classement et souvent avec le CAC ou la Réserve, deux preneurs de points hors du commun, deux fantastiques chiens de chasse et qui en plus chassent à Grande Quête. Pas pour réciter un parcours appris, pas pour faire « la prestation », comme disent les italiens, mais pour trouver des perdreaux et ils en trouvent dans des endroits où on n’imaginerait pas qu’un chien puisse aller, avec deux ou trois points par parcours.
GIONO : je suis à l’aile droite et je me suis placé sur la petite route qui se situe environ à 300m du centre du terrain ; elle est peu passante, mais il suffit d’une voitura pour endeuiller une saison. Giono passe devant moi, saute la route et s’engage dans un grand labour, dur et profond, légèrement en dévers. J’entre dans le labour, malaisé pour courir (20 ans et 10 kilos de trop, bon Dieu, ou le contraire !) et je vois le chien qui revient du fond à 10m de la bordure des mottes. Soudain, il disparaît. Comme je peux, je cours et le vois couché à 80 de moi. Je lève la main mais déjà les grandes jambes de Camille lui font survoler le labour. Giono est couché, la tête tournée vers la gauche ; à l’arrivée du conducteur, un gros lièvre démarre au nez du chien, impassible. Alors, sa tête revient dans l’axe du corps, Camille le fais couler deux ou trois mètres et deux couples de perdreaux volent devant lui ! Nous nous regardons, l’émotion est dans nos yeux, un instant embués.
MARC : il court avec ITOT, notre enfant prodige de 20 mois, déjà sur le terrain comme un vieux briscard, celui-là aussi est un drôle de chasseur, si les petits cochons….. Donc Marc ; on le croyait perdu à droite et Sandro Paccioni, à ma droite le trouve à l’arrêt devant nous, un chemin un peu en relief, l’ayant caché à nos regards : les perdreaux sont à quelques mètres. On relance, le vert se termine et devant nous, un labour finement hersé qui ne permet pas à un quelconque animal de se cacher, à gauche, une haie qui borde un chemin menant à un hameau devant lequel un champ de blé large mais étroit d’une centaine de mètres. Un grand soleil éclaire ce qui devant nous s’apparente à une scène de théâtre. Marc part à gauche, fait tout le bord de la haie, ignorant ce labour quasi roulé et par l’extrême gauche entre dans le vert, collé à la bordure, il ralentit, remonte et vient mourir à l’arrêt. Pendant ce temps, Itot s’est lui aussi porté en avant, mais à droite, il entre dans le blé par le côté opposé, fait une trentaine de mètres et se couche. Je pense qu’il patronne. Villamiel arrive et un couple vole devant Marc. A l’arrivée de Patrick Teulières, le conducteur d’Itot, un autre couple, puis un second vole devant son chien. Quel spectacle ! J’aimerais tant que tous les chasseurs effrayés par ces grands chiens voient comment, dans des conditions si compliquées par la vitesse, la distance, souvent les conditions météo, ces phénomènes sont au classement tous les jours ou presque avec un, deux ou trois points à chaque parcours, quand beaucoup d’autres ne rencontrent pas. Mais eux ne rencontrent pas, ils vont chercher et ils trouvent !!!! A la bécasse, on dit que certains inventent les oiseaux, ceux là font la même chose, à 500m de leur conducteur, libres mais reliés par un fil invisible à leur maître, si rapides que si un relief les cache, ils ne sont jamais où on pense les voir avec un seul but, brutal, sauvage : trouver. De la douceur, de l’harmonie eu dehors et en dedans, le courage, l’ardeur, la rage de trouver, quelque soit le terrain, quelque soient les conditions. Je vous disais, des gladiateurs, des pirates, le couteau entre les dents, ils vont à l’abordage des perdreaux, subjugués par tant de fougue, tant de passion, tant de détermination ! Je m’arrête, je vais pleurer !
Avant la larme, encore une. Championnat d’Europe : nous sommes sur la route, en contrebas ; les juges et conducteurs sont en haut, invisibles à nos yeux. Gun de la Lande de Mouchon, gagnant du Derby 2013 (qu’il a magnifiquement confirmé, encore cette année avec 2 CACIT), doit courir. Nous l’apercevons, plus haut, il termine son lacet de droite et repart sur la gauche et disparaît. Quelques minutes après, nous voyons à peine la tête de son conducteur puis le chien qui déboule, tendu comme arc, vers nous. Sans sourciller, il saute la route devant les yeux ébahis des nombreux suiveurs et entre, toujours en descendant, dans le champ en contrebas. Nous le pensons hors la main, mais non, il amorce son virage mais, aussitôt, décroche, remonte une trentaine de mètres et se couche. La foule appelle à grands cris Manu Bourgeois. Mais un agriculteur monté sur une machine qui ressemble à une grosse libellule est en train de traiter : le chien le gêne. Il klaxonne sans résultat, descend de l’engin et s’approche du chien. Les perdreaux, volent, Gun est immobile. Le type s’avance et « botte le cul » du chien. Son propriétaire n’en croit pas ces yeux. A ce coup bas, Gun se relève et va arrêter 200m plus loin les mêmes perdreaux, attendant sagement son conducteur hors d’haleine qui n’a pas vu le film. Ce coup-ci, je sors mon mouchoir !
Bruno Maury.